Cathédrale
60,00 €
Cathédrale représente le point culminant de mon travail compositionnel entre 2017 et 2022 et vient clore une période féconde qui m’aura vu écrire plus d’une vingtaine de pièces, du solo à l’orchestre. Mon travail d’écriture s’est orienté autour de l’énergie sculptée à travers le temps et la déconstruction de la pulsation à travers des structures rythmiques fluides, résultantes radicalement idiomatiques des gestes des musiciens. Alors qu’une nouvelle période de mon travail s’ouvre avec des pièces comme Cornucopia (2022), centrée autour d’un commentaire social associé à des structures strophiques évolutives, il m’a semblé important de convoquer la somme de mes expériences à travers la commande qui m’a été confiée d’une pièce de plus de vingt minutes, dédiée à un ensemble fourni. Sont ici convoqués l’organisation en groupe (avec quatre instruments isolés formant un gruppetto, non soliste mais remarquable par sa singularité de timbres), des instruments rares (cors de basset, trompette basse) et une référence picturale double qui sous-tend l’intégralité de la pièce, nombre de marqueurs déjà présents dans des pièces comme Dans les pas de la main (2019) ou encore Stargazer (2021).
Lors de la visite en 2017 de l’exposition Rodin – Kiefer : les cathédrales de France au musée Rodin, j’ai été frappé par les masses mises en œuvre, la densité des constructions et l’anachronisme existant entre le travail des deux artistes, entre démesure tridimensionnelle et intimité d’aquarelles. Au-delà de l’exposition trône au sein du jardin du musée une statue de Rodin dédiée à Balzac, Monument à Balzac, véritable cathédrale de chair et œuvre-monde pourtant originellement reniée par la critique ; toisant les créations démesurées de Rodin et Kiefer, ce Balzac semble contenir en lui la somme fantomatique de tous les possibles immatériels, au-delà de l’épaisseur et de l’inertie de son enveloppe. Pour Rilke, « C’est ainsi que Rodin a vu Balzac, en un instant de concentration formidable et de tragique exagération, et c’est ainsi qu’il l’a créé. La vision ne s’évanouit pas : elle se réalisa. » Cette vision m’évoque l’intuition de Nicolas Poussin dans Le chef d’œuvre inconnu de Balzac, translation du sujet à l’auteur qui relate l’apparition d’une évidence, d’une singularité charnelle à travers la matière picturale abstraite, en ne rendant visible qu’un fragment pédestre au centre d’une pulsion vitale, d’une énergie démesurée conduisant à la stratification d’aplats : « En s’approchant, ils aperçurent dans un coin de la toile le bout d’un pied nu qui sortait de ce chaos de couleurs, de tons, de nuances indécises, espèce de brouillard sans forme ; mais un pied délicieux, un pied vivant ! Ils restèrent pétrifiés d’admiration devant ce fragment échappé à une incroyable, à une lente et progressive destruction. Ce pied apparaissait là comme le torse de quelque Vénus en marbre de Paros qui surgirait parmi les décombres d’une ville incendiée. » Cet acte artistique témoigne d’un instinct d’existence éructé à la face d’un académisme morose qui ne peut alors que que s’auto-détruire : « Cet adieu glaça les deux peintres. Le lendemain, Porbus inquiet, revint voir Frenhofer, et apprit qu’il était mort dans la nuit, après avoir brûlé ses toiles. » L’interconnexion de ces références témoigne ainsi plus d’une poïétique sensible et d’une amalgamation d’expériences temporellement stratifiées que d’une retranscription théorique ; cependant, alors que j’écrivais d’autres pièces, je trouvais déjà sans le savoir des fragments de Cathédrale, empruntant à Kiefer l’organisation en arche de la pièce (tryptique de Cathédrales, 2017), tout autant qu’associant des épisodes solistes (duos de cuivres) aux transept de la Cathédrale de Cologne au sein duquel j’ai ressenti de vives émotions en 2018, et plus récemment en 2022 à l’occasion d’un moment privilégié dans ma vie personnelle. Les volutes aquarellés des deux artistes m’ont également influencés dans mon approche des lignes, que j’ai cherché à flouter le plus possible sans pour autant assagir ou tempérer les expressions instrumentales. Cette pièce me donna ainsi l’occasion de considérer la téléologie de la première incarnation de ma propre pratique, en choisissant de considérer les limites d’une écriture qui se meurt pour mieux se reconstruire, non pas ex nihilo mais avec l’humilité de l’éphémère, de l’expérience de la perte tout autant que de la renaissance. Je souhaite remercier Peter Tilling pour m’avoir offert une si grande liberté et avoir répondu avec autant d’enthousiasme avec toutes mes suggestions, à Sidney Corbett pour l’accueil de la création de cette pièce, et à Estelle, ma lumière.
Augustin Braud
Information additionnelle
Poids | 0,600 kg |
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Dimensions | 29,7 × 42 × 1,6 cm |